Les « Îles noires » à La Riche : du démantèlement à l’insertion

Depuis le début des années 2000, plusieurs familles bulgares étaient installées sur le territoire de la commune de la Riche en Indre et Loire, sur le site dit des « Iles Noires » en bord de Loire. L’ensemble a fait l’objet d’une décision de justice ordonnant l’évacuation des parcelles, frappées également d’interdiction d’installation en raison des risques d’inondation.

Mais la situation s’est enlisée et les familles se sont implantées durablement sur une dizaine de parcelles. Les abris des familles sont alors constitués de caravanes auxquelles sont accolées des baraquements construits en bois de récupération.

Récemment, la Métropole a décidé de récupérer ces terrains, et la préfecture a souhaité apporter des solutions aux personnes installées sur les sites, en créant une « maîtrise d’œuvre urbaine et sociale », confiée à Entraide et Solidarités et mise en œuvre à partir du 15 octobre 2018 avec un double objectif : effectuer un diagnostic social des personnes, et initier ou renforcer leur accompagnement social. L’association parisienne Trajectoires  été mandatée par Entraide et Solidarités pour réaliser ce diagnostic. Sous la houlette d’un responsable de service, une éducatrice spécialisée fut recrutée pour amorcer les prémices d’un relogement et débuter l’accompagnement social.

Le démantèlement du camp s’est fait sous pilotage de la Direction départementale de la Cohésion sociale, en lien avec les différents acteurs institutionnels concernés. Sur le terrain, nous avons pu aussi œuvrer avec des militants associatifs sensibilisés à la question du relogement des Roms, et une saine collaboration a été profitable aux les familles.

A la mi-avril 2019 ont pu débuter les premières orientations vers des appartements de notre Service des Logements Extérieurs (SLEX). Au 15 mai, l’ensemble des familles ont été orientées vers des dispositifs d’insertion d’Entraide et Solidarité, ou sur un hébergement d’urgence géré par Emergence. Mais nous constatons alors qu’une trentaine de personnes n’apparaissent pas dans le listing. Un travail d’évaluation rapide est nécessaire pour comprendre qu’il s’agit de familles ayant vécu ici avant le diagnostic, ou qui se sont rapprochées dans l’espoir d’être aidées par notre association. Dans le même temps, des tensions fortes se dessinaient entre deux clans principaux. Notre proximité, notre confiance avec les familles concernées a permis d’éviter une escalade de violence. Sept à huit familles décide alors de quitter et se replient sur Tours Nord. Ce clan, peu ouvert à une proposition d’accompagnement, sera sanctionné par la préfecture, et partira en région parisienne.

Entre la mi-mai et le début de l’été, des propositions d’orientation ont été faites à l’ensemble des familles et ont permis qu’elles soient hébergées et accompagnées sur des dispositifs d’insertion. Leur accompagnement social global est un travail complexe qui nécessite du temps et des moyens pour optimiser l’insertion de ces familles : accès aux droits sociaux et médicaux, entrée dans un logement autonome, entrée dans l’univers scolaire et la découverte d’activités sportives et culturelles pour les enfants et adolescents, etc. Un travail en réseau au sein même d’E&S a été mis en œuvre : ainsi, le Centre de formation a créé une session de FLE (français langue étrangère) pour un groupe adulte de Bulgares ; et le SIPAE a intégré plusieurs hommes ou femmes sur des chantiers d’insertion qui leur permettent une première expérience professionnelle.

 

Deux témoignages d’intervenants sociaux d’Entraide et Solidarités à Chinon

Un groupe de Bulgares en cours de français

« L’accueil de Nina et son petit-fils Nicolay est pour moi une expérience très positive d’accompagnement cette année. Dès leur arrivée, ils ont été touchés par le fait que nous avions rempli le frigo et le placard de nourriture pour quelques jours, ensuite ils ont investi le logement et se sont mobilisés sur tous les aspects de l’insertion. Les inscriptions à Pôle Emploi, à la banque se sont déroulés rapidement tout comme leurs repères dans Chinon grâce aussi à la « Cafet des Migrants » tenue le mercredi après-midi par l’Hospitalité Chinonaise. Nous avons très rapidement, à la demande de Nina, obtenu qu’elle travaille dans le chantier d’insertion des Jardins du Cœur. Les démarches d’inscription à la MSA ont ensuite pu démarrer.

Nicolay  a 14 ans et pratique désormais le foot et la natation. Je lui ai plusieurs fois remis des billets de cinéma grâce à Cultures du Cœur et suis à chaque fois récompensée par de larges sourires. La rentrée scolaire a été stressante pour le foyer familial et pour notre équipe de Chinon. En effet, Nicolay n’avait pas reçu sa convocation, il a donc manqué d’abord la semaine d’intégration préalable à la rentrée. Ensuite, il était prêt mais non accepté au collège le lundi et le mardi, et a finalement rejoint sa classe le mercredi. OUF ! Une chaine de solidarité s’est spontanément créée pour ses fournitures scolaires entre l’Entraide, le collège et les autres partenaires locaux. A noter, une façon pratique et nouvelle de faire un don ciblé : un donateur nous a remis une carte cadeau d’un hypermarché pour que Nicolay choisisse ses fournitures.

A ce jour, j’envisage très vite de demander un logement autonome, car Nina présente toutes les garanties pour très vite gérer l’ensemble seule. »

Fabrina Pinaud

« C’est avec satisfaction mais aussi avec un peu d’appréhension que je me vois confier, début juin 2019, l’accompagnement d’une famille :  un couple avec trois enfant, Bulgares venant des îles noires à La Riche. Un nouveau challenge professionnel pour moi, une nouvelle organisation, un travail en partenariat avec mes collègues, le réseau local …Et c’est ainsi que je découvre quasi immédiatement que ces rendez-vous et ces rencontres sont enrichissantes, me nourrissent, me portent…

La confiance est mutuelle. Car l’accompagnement implique de nombreux échanges, d’aller ensemble vers un objectif commun, réciproque et validé. Malgré une langue maternelle différente, nous communiquons, échangeons, faisons des choix. Certes, le jeune père a ses exigences, ses valeurs, et achète un véhicule après un premier salaire sur le chantier d’insertion « espaces verts ». Véhicule qu’il me montre fièrement mais qui ne fonctionne que quelques jours et le moteur ne les emmènera pas longtemps vers les routes choisies. Mais un autre véhicule croise son chemin grâce à son propre réseau. Evidemment, quelques rappels sur les choix budgétaires sont à faire, mais globalement la famille respecte les engagements.

Ils ne manquent aucun rendez-vous et viennent même plusieurs fois dans une même journée ! Un manque de compréhension évident, ou je ne suis peut-être pas toujours assez claire sur l’heure ?

Le logement est bien entretenu, décoré, personnalisé. Les enfants vont à l’école juste avant l’été et sont intégrés dès la rentrée de septembre. Un lien plus étroit avec une des institutrices et le collectif Hospitalité en Chinonais permet de constituer le trousseau de rentrée scolaire.  Le contact à communiquer en cas de problème repose seulement sur Entraide et Solidarités, et nous ne sommes pas toujours disponibles. Mais à ce jour cela fonctionne bien. L’inscription au centre de loisirs n’a pas permis une fréquentation régulière. Les enfants et la mère notamment n’ont pas bien intégré cet espace et ces activités possibles. La séparation a semblé trop brusque et longue pour eux.

Certains professionnels de la santé ont complétement accepté de prodiguer des soins avant l’obtention de la carte vitale. Et d’autres non. Des soins dentaires sont à honorer surtout pour ces jeunes parents, ainsi qu’un point avec un spécialiste pour le plus jeune enfant. L’apprentissage du français semble plus concret pour eux dans des situations de la vie quotidienne ou professionnelle que sous la forme de séances en salle proposées par l’Entraide. C’est aussi un point à revoir avec eux mais j’aimerais bien comprendre le bulgare comme ils appréhendent le français.

Les cadeaux que me font les enfants ; des checks, des bisous, des câlins, des petits jouets, une pomme de pin, des dessins et le sourire de la maman et de ses enfants, notamment lors d’un spectacle atelier scénique de jeunes, m’ont tellement conforté dans l’attention à apporter au bien être, aux loisirs, à être ensemble autrement que dans les longues démarches auprès des banques, des assurances, des institutions administratives, que j’ai hâte de leur proposer un  rendez-vous pour un nouveau spectacle  où, en plus, ils pourront  reconnaitre un visage… 

Florence Delépine